Il ya trois jours que nous vivons sur la plaine qui s’étend comme un tapis royal devant Aoraki, maître incontesté des hauteurs couronnées de neiges éternelles. Le roi des Alpes du Sud. Comme d’humbles serviteurs en attente d’une mission de Sa Majesté, nous avons erré sur les flancs rocheux de ses Hauts Chevaliers, découvrant la flore alpine qui abrite les kéa, seuls perroquets vivant en altitude, et surtout tremblant au son des avalanches qui rugissaient dans la vallée. Chaque jour nous découvrions l’impénétrable grandeur des montagnes mais toujours les nuages voilaient celui dont nous attendions l’audience. On appelle Aoraki « celui qui perce les nuages ». Mais comme nous le disent les histoires Maori, il choisit bien à qui il se dévoile.
J’ouvre un oeil et tout de suite la fenêtre m’appelle. Aujourd’hui est notre dernière journée au cœur des Alpes…l’audience sera-t-elle accordée? À ma grande surprise la vallée et son cercle infranchissable de glaciers et de piliers aux dents qui grincent le ciel se dévoile sous un soleil matinal timide. Des langues de nuages s’effilochent aux pieds des murs de roches et les sommets se montrent le nez un par un. Je cours à la salle de bain, résolue de sauter dans mes bottes de randonnée au retour et de retourner escalader le mont Sebastopol, qui m’attend peut-être avec une vue remarquable sur le fameux monarque.
Après avoir avalé deux tranches de pain sec (grâce à un brésilien généreux qui m’a pris en pitié, elles étaient recouvertes de Nutella) je m’enfuis à toutes jambes vers l’escalier sans fin qui grimpe vers les lacs alpins au sommet de Sebastopol. Après 1h45 de montée je suis dans les nuages. Ils sont coriaces. La vallée semble les attirer comme les éclairs au chocolat attirent monsieur Lepage. Je redescends donc vers le soleil et à mi-chemin je dois m’assoir au sol. Le voilà. Jouant à cache-cache à travers les nuages, la blancheur étincelante du plus haut sommet m’impressionne. Le triangle fier, qui semble être découpé par une épée forgée au mont Olympe, invite le recueillement. Il m’est impossible de bouger. Aoraki vient et va à travers les voiles blancs, et chaque fois il réapparaît plus majestueux. Et tout autour le cercle de montagnes gigantesques semble répondre à son appel, il me semble qu’elles se dressent plus haut, plus blanches, plus découpées sur la plaine orangée. J’ai l’impression d’entendre les milliers de kilomètres de glaciers craquer en guise d’applaudissement. Le cri du kéa me ramène à mon corps sur la roche fraîche et, en le regardant voler, mes yeux se posent sur les milliers de gouttes de rosée qui ornent les plantes robustes et élégantes des hauteurs néo-zélandaises. Elles forment un manteau d’argent sur le tapis tressé de rouges, ocres et verts de toutes sortes. Les mousses brillent. Les lichens sont étincelants. Me voilà gorgée de lumière, au milieu de l’infiniment petit et de l’infiniment grand.
Je me rappelle mes amis qui doivent m’attendre en bas. Je cours les dernières marches avec un sourire béat.
Sur la route, quelques 50 km au sortir de la vallée, nous nous sommes arrêtés au bout du lac Pukaki, grande étendue oblongue qui finit presque au pied d’Aoraki. Enfin, bien loin des nuages de la vallée, l’audience sans interruption fût accordée. Au bout du lac turquoise on pouvait voir un sommet immense, aux lignes épurées, se dresser comme pour bénir les vallées adjacentes. Un simple sourire suffit pour notre au revoir.
Il y a une semaine, nous avons pris l’avion de Christchurch à Sydney, laissant derrière un pays magique mais avec devant plein d’amis à retrouver. L’envol se fit par une journée splendide, et, juste au dessous, au milieu des montagnes millénaires, s’est dressé solennellement Aoraki, comme pour dire aurevoir et merci.
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